Lundi 14h - 19h

Mardi - Samedi : 10h - 12h30, 14h - 19h

 

 

 

 

Lulu, fille de marin
EAN13
9791031202358
Éditeur
Ateliers Henry Dougier
Date de publication
Collection
Une vie, une voix
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
S'identifier

Lulu, fille de marin

Ateliers Henry Dougier

Une vie, une voix

Indisponible
Alissa Wenz, " Lulu, fille de marin "

Présentation par l'éditeur :

"Papa partait à Terre-Neuve au mois de mars. Ma soeur Simone lui avait dit une
fois : " J'veux pas que tu partes. " Mais il avait dit : " Ben faut bien que
je parte, faut bien que j'aille gagner notre pain. "" Oh mais on mangera des
craquelins. ""
Alissa Wenz retrace l'histoire de sa grand-mère Lucienne, fille de marin et
femme d'aviateur, née en 1928 à Plouër-sur-Rance, entre Dinan et Saint-Malo. À
travers ses souvenirs, celle que l'on surnomme " Lulu ", nous plonge dans la
vie d'un village de Bretagne au 20e siècle. Sa trajectoire se fait le miroir
des préoccupations rurales des années 1930,des inquiétudes de la Seconde
Guerre mondiale en zone occupée, de l'après-guerre et de ses difficultés
économiques.

Le récit nous invite à suivre un parcours profondément ancré dans son époque,
cette époque qui destinait les jeunes filles à devenir des épouses et des
mères.

Mon avis :

Avertissement : j'ai eu l'occasion de lire ce livre parce que je connaissais
l'autrice, ce qui m'a rendu curieux de la lire. Naturellement, je partais avec
un préjugé favorable.

Lulu, fille de marins fait partie d'une collection intitulée " Une vie, une
voix " lancée récemment par l'éditeur ; elle a pour but de proposer des récits
de vie de gens ordinaires, dont les vies sont rarement aussi simples que ce
que laisse imaginer l'expression de " gens simples " (qui m'a toujours paru à
la fois inappropriée et méprisante). On trouve ainsi dans cette collection le
récit de la vie d'une ouvrière de la chaussure (Mireille, ouvrière de la
chaussure), celui de la relation de soins entre un aide-soignant et un homme
handicapé mental (Les Yeux d'Arthur), ou encore le récit de la maladie du sida
qui a emporté un homme bisexuel, raconté par sa fille (Pour te voir cinq
minutes encore). Le but déclaré de l'éditeur est de contribuer à faire
connaître la réalité sociale d'une France souvent méconnue et qui s'éloigne
dans le passé à une vitesse rendue plus grande par la rapidité des
bouleversements qu'a amenée la révolution télécommunicationnelle de ces trente
dernières années (Internet et les smartphones). Une démarche louable, pour des
ouvrages qu'on peut ranger à l'aise à côté d'autres initiatives proches comme
la revue Zadig.

C'est dans ce cadre qu'Alissa Wenz a voulu raconter la vie de sa grand-mère.
Mais on pourrait dire qu'elle joue autant le rôle de porte-parole (ou de
porte-plume) que d'écrivaine, tant elle cherche à faire entendre la voix de
Lulu. Quelques informations prises sur la conception du livre renforcent cette
impression, puisqu'Alissa a recouru à des enregistrements audio pour
recueillir les propos de sa grand-mère avant d'en donner une synthèse écrite,
un livre à deux voix. Wenz elle-même s'efface derrière son sujet, ou plutôt ne
se laisse voir qu'en tant que silhouette attentive et complice, derrière la
caméra imaginaire qu'elle saisit pour montrer sa grand-mère par la plume.

Le livre s'ouvre sur une scène qu'on pourrait dire typique, une sorte de
vignette ou de tableau animé représentatif de l'enfance de Lulu : l'attente
angoissée en l'absence de son père, marin terre-neuva au long cours, pendant
une tempête à laquelle son navire risque de ne pas résister. Après ce début
très cinématographique, le récit reprend les choses au début et pose le cadre
des rencontres et des entretiens avec la grand-mère avant que la parole de
cette dernière ne s'impose et ne relate, de manière chronologique, la vie de
Lulu, avec de réguliers allers et retours entre les époques passées et le
récit-cadre des conversations avec la grand-mère dans le présent.

Rétrospectivement, la toute première scène paraît un brin artificielle et pas
si représentative du livre en matière d'ambiance ou même de style, puisque
l'intérêt du livre ne repose justement pas sur des ficelles narratives de
suspense classique. D'un point de vue métanarratif, il semble fonctionner
avant tout comme une amorce, pour nous plonger dans le livre en démarrant in
medias res et en installant d'emblée une tension qui donne envie d'en savoir
plus. D'un autre point de vue, il a peut-être été conçu aussi comme une sorte
de premier souvenir, puisque c'est sur cette image que démarre l'enfance de la
grand-mère : l'absence de son père, l'attente et l'inquiétude.

La suite adopte un rythme moins ficelé, plus original, à sauts et à gambades,
comme dirait l'autre, et terriblement plaisant. La maison tranquille à Plouër-
sur-Rance, les téléfilms, les rêves, la coiffure, les croyances de Lulu enfant
et de ses camarades de classe sur la façon dont on fait les bébés... Le récit
aborde toutes sortes de sujets, avec un goût pour le détail vivant. Alissa
Wenz met un grand soin à restituer non seulement le fond des propos de sa
grand-mère, mais véritablement sa parole, avec les tournures de langage oral
d'une personne de son âge et de sa région, en s'intéressant ici et là aux mots
de patois qu'elle prononce, mais sans exotisme forcé. Le résultat est
saisissant de vie et terriblement plaisant. Parmi la probable masse des propos
tenus au cours des entretiens, le livre opère une sélection qui soustrait le
plus intime aux regards extérieurs tout en dressant un portrait varié de Lulu
à ses différents âges et, à travers elle, de plusieurs époques.

Avec Lulu, on traverse le siècle, depuis sa naissance en 1928 jusqu'à fin
2018, en passant par la Deuxième guerre mondiale, l'après-guerre, les Trente
glorieuses, l'an 2000 et les multiples transformations économiques, sociales,
technologiques, culturelles qu'a connues cette période. La petite et la grande
Histoire, comme on dit, se croisent régulièrement, à commencer par la mort
soudaine de la sœur aînée de Lulu, Simone, emportée par la diphtérie en
quelques jours, tandis que Lulu se trouve vaccinée par un médecin et sauvée à
la suite d'un pur enchaînement de coïncidences qui lui donne encore des
frayeurs des années après. La Seconde guerre mondiale arrive, et, si aucune
grande bataille n'a marqué le pays dans ce patelin breton, Lulu connaît
l'Occupation avec sa chape brune, les privations, les petits gestes éloquents
ou les ambiguïtés des voisins enclins à la résistance ou à la collaboration,
et puis les bombardements qui précèdent de peu la fin de la guerre.

Mais tout au long de cette traversée du siècle, la grand-mère âgée du présent,
avec ses remarques tantôt attendries, ici candides, là caustiques ou
indignées, réapparaît régulièrement comme pour rappeler que c'est bien la même
personne qui a vécu ces décennies reculées et les années les plus récentes,
comme pour montrer qu'en dépit d'un corps affaibli et d'un intérêt variable
pour les nouvelles technologie une personne âgée est bien un esprit et une
voix, et pas une sorte de fossile vivant ou d'anachronisme encroûté. Lulu a
toujours la tête sur les épaules et ne s'en laisse pas plus conter maintenant
que dans les années 1940 ou 1960.

Impossible, pourtant, de lire Lulu, fille de marin sans être frappé par les
immenses transformations sociales survenues au fil du siècle, que ce soit dans
la vie quotidienne en général ou dans les attentes et les contraintes imposées
aux femmes.

Par exemple, dans la jeunesse de Lulu durant les absences de son père marin,
et par la suite, pendant celles de son mari aviateur, il n'y a aucun moyen de
communiquer avec l'absent ; même le courrier prend des semaines. Le père de
Lulu s'absente pendant des mois, son mari moins longtemps mais pour des
voyages tout aussi risqués. Je ne me prétendrai pas capable d'imaginer
facilement des situations pareilles après avoir grandi dans un monde où le
téléphone et le fax existaient et où Internet puis la téléphonie mobile n'ont
pas tardé à mettre l'autre bout du monde à quelques seconde de distance par
téléphone ou email.

Un autre exemple, concernant la conception de la famille, est formé par le
passage frappant du mariage de Lulu. Son futur mari lui envoie une proposition
enflammée et une bague de fiançailles après l'avoir rencontrée en tout et pour
tout deux fois ; elle épouse un quasi inconnu, mais le curé, lors du mariage
(religieux, fo...
S'identifier pour envoyer des commentaires.