Claudia, 8 ans vit avec ses parents dans une maison bourgeoise de Cali en Colombie dans les années 80. Lorsqu’un jour sa tante se marie avec un beau jeune trentenaire, sa vie en rose va basculer. Sa mère va entamer une liaison passionnelle avec ce dernier, sous ses yeux, témoins involontaires d’un adultère qui va mettre en péril la cellule familiale. Vite démasqués, cette relation va prendre fin aussi vite qu’elle a démarré. Alors que la mère de Claudia tombe en dépression et déserte de son rôle maternel, son père tente de recoller les morceaux, en proposant un changement de décor pour apaiser les tensions dans un chalet à la montagne. La fillette dont nombre de certitudes vont s’écrouler, va subir la souffrance de sa mère, aux rêves d’indépendance brisés, réaliser qu’un enfant ne suffit pas à combler une mère, en découvrant la perfidie des motivations des adultes et en assistant au déchirement du couple, à sa mise à distance, focalisé sur le long chemin vers la réconciliation. A travers les yeux d’une enfant désarmée, ce roman social aborde la question des femmes qui n’ont pas la maîtrise de leur vie, se forcent à être d’autres personnes pour répondre aux codes sociaux et subissent une destinée qu’elles ne construisent pas elles-mêmes. L’ambiance à la fois douce et oppressante nous plonge dans le vertige des abîmes, ceux des paysages de la jungle colombienne tout autant que ceux des cœurs des protagonistes. Un beau tour de force !

René Fregni nous offre un récit autobiographique, au souffle romanesque, en laissant remonter à la surface ses souvenirs d’enfant déserteur et glaneur, délaissant l’école pour découvrir le dehors et arpentant les territoires sauvages de Provence, d’adolescent voyou, découvrant la sensualité des filles, la vie nocturne, l’insouciance libre et amorale et de jeune homme réfractaire au service militaire, rêvant d’engagement révolutionnaire aux côtés du Che Guevara. Plusieurs fois déserteur, il expérimente 7 années d’errance en Europe pour échapper au cachot. Ce roman est aussi l’occasion de rendre un bel hommage à la littérature (Gino, Hemingway, Alain, Camus, Rousseau, Vian, …) qui l’ont sauvé et remis dans le droit chemin de l’écriture. Depuis cinquante ans, au gré de ses vagabondages, René Fregni s’est forgé, en toute discrétion, une philosophie de vie, un caractère trempé et un univers de mots qui ne cessent de rendre hommage aux lieux et hommes de Provence. O temps suspend ton vol à la lecture de ce roman solaire et généreux !

Au fil des années, Ursula Lopez, traductrice et figurante dans des émissions de téléréalité, a grossi. A 40 ans, elle lutte contre son manteau adipeux qu’elle tente d’alléger par tous les moyens, elle vit toujours dans le passé, elle épie les bruits de ses voisins et vit par procuration, en entretenant un monde de personnages imaginaires pour remplir le vide de son existence. Aussi quand son quotidien est bousculé par l’appel téléphonique des ravisseurs d’un célèbre entrepreneur, exigeant une rançon pour sa libération et croyant s’adressant à sa femme, homonyme d’Ursula Lopez, celle-ci va plonger dans la brèche d’une aventure loufoque dont elle va vite prendre les rennes, avec un plaisir machiavélique. De quiproquos en quiproquos cette histoire nous entraîne avec jubilation dans un série de scènes cocasses jusqu’au dénouement imprévisible. Le talent cette auteure urugayenne réside dans la construction d’un véritable scénario invraisemblable et qui pourtant trouve tout son sens dans la tête de son héroïne. En revisitant les codes du roman noir, l’auteure nous offre une lecture jubilatoire, où le sarcasme et l’humour grinçant, l’univers décalé et pavé de mauvaises intentions nous interpellent sur les questions de violences sociales, du culte du corps et de l’argent !

Gustave Malher converse avec son garçon de cabine sur le pont du bateau Amerika qui le ramène en Europe, en 1911, après avoir dirigé l’orchestre philarmonique de New York. A 50 ans, il est déjà devenu un mythe, mais son corps est prématurément usé par une infection généralisée. Sur les flots, il repasse le film de sa vie : la relation orageuse avec sa jeune et sublime femme, la perte de sa fille aînée, les déménagements successifs, la direction de l’Opéra impérial de Vienne pendant 10 ans, le séjour à Paris où Rodin réalise son buste, la rencontre avec Freud, la renommée internationale et le globe-terrestre sillonné. Ce dernier mouvement est à la fois celui d’un talent exigeant aux prises avec les affres de la création et d’une existence en partie sacrifiée à la musique, vouées à disparaître. Le portrait du compositeur est subtil et progresse, à l’heure du bilan de sa vie personnelle et professionnelle, au fil des regrets, remords et doutes au seuil d’un monde dont on pressent les bouleversements à venir. Avec une économie de mots, histoire, romance et poésie sont intelligemment réunies dans ce court récit, à l’os de chaque émotion traversée par le compositeur. La douce musique de l’ultime mouvement résonne longtemps après la lecture de ce roman !

Neuf nouvelles déclinent toute une palette d’adieux : une amitié trahie, une relation distendue, un amour contrarié, une relation inachevée, une rencontre fulgurante, un amour sans lendemain, un amour fraternel, un amour de jeunesse, un amour neuf. Autant de situations sentimentales que les personnages principaux masculins et féminins expérimentent à des moments cruciaux de leur vie. Comment dire adieu ou faire la paix avec les disparus ? Ne peut-on se libérer qu’en trahissant ceux à qui on doit fidélité ? Qu’attendre de ce que veulent les autres et ce que les circonstances exigent ? Comment trouver sa place ? La plume de Bernard Schlink souligne les parcours semés d’embûches jusqu’aux adieux, décortique les ressorts psychologiques de ceux qui partent et de ceux qui quittent. Chaque nouvelle est l’occasion d’une variation sur ce même thème qui donne une cohérence à l’ensemble. L’écriture généreuse et sensible offre des impressions et des sensations qui touchent au plus près de l’intime.