Publié à compte d’auteur en 1999, les éditions Mémoire d’Encrier ont eu la bonne idée de rééditer ce recueil, une adresse poétique à la ville de Port-au-Prince, cette ville aux mille visages que Frankétienne n’a jamais voulu quitter, « ma ville enfouraillée de nuits intarissables/ma ville schizophonique bavarde infatigable ». Le poète ne fait plus qu’un avec la ville, avec ce « magma indissoluble/indescriptible/inconcevable. » Mêlant toujours français et créole, sa langue danse. Et comme son éditeur, Rodney Saint Eloi, on s’interroge : « Que serait Port-au-Prince sans Frankétienne ? »

« Un écrivain total », « un colosse taillé comme une falaise », « un ogre qui a tout dévoré », « le nouveau James Joyce », les qualificatifs sont nombreux quand ses pairs tentent de définir Frankétienne. On sait l’œuvre de l’artiste dense, multiple et parfois opaque. Alors cette anthologie est la bienvenue parce qu’elle est un objet non identifié, rassemblant un entretien, des photos, des textes divers, des documents d’archives et des inédits. C’est un livre libre et monumental à l’image d’un homme, d’une légende haïtienne vivante.

Arrivée avec les premiers colons espagnols sur le sol haïtien, la famille Morelli a su se faire une place sur cette île. Entourée de mystères et de légendes, cette famille intrigue et sème la peur chez ses voisins. Après avoir vu plusieurs générations se succéder sur ce sol, Narcès, le dernier né, souhaite en apprendre davantage sur ses origines. Grâce à Absalon, un domestique présent depuis plusieurs années chez les Morelli, et aux souvenirs de famille, Narcès va retracer les vies de chacun de ses ancêtres jusqu’à la disparition soudaine de sa mère survenue dix ans plus tôt. Entre passé et présent, les souvenirs de la famille Morelli nous plongent en plein cœur de l’Histoire d’Haïti, ses dictatures et coups d’état.

"Laisse folie courir" est un premier roman d’une richesse incroyable. Peut-être parce qu’il raconte Haïti dans toute sa complexité. C’est la vieille Grann Sang Cochon, « l'ancêtre vivante », qui transmet au lecteur l’histoire de sa famille. Parce que Joséphine et Aline sont deux sœurs jumelles absolument inséparables, elles décident d’épouser le même homme : Raphaël Cadostin. C’est un roman de femmes, sur les pères invisibles, sur la solidarité, un roman avec le vaudou et la langue créole comme compagnons. L’autrice nous fait découvrir la lignée et la destinée des Cadostin avec un humour caustique et une verve à la fois rude et tendre. Un roman inventif, touchant et pétillant.

Ce livre est un cri bouleversant, une plaie vive, une complainte qui s’élève dans la nuit et vous attrape au cœur et aux tripes. C’est aussi un acte de bravoure qui nous rappelle que la littérature est l’arme des artistes. Construit comme un long monologue qui nous parviendrait du fond d’une geôle, ce texte hautement politique met en lumière la réalité sociale d’un pays en proie à la violence et perpétue l’appel d’éminents prédécesseurs tels que Federico García Lorca ou plus récemment Aslı Erdoğan. La musicalité du texte nous invite à le lire à voix haute et à faire résistance avec l’auteur.